Tout d’abord je voulais vous remercier tous de vous être engagé pour cette journée, en pleine rentrée scolaire. Et plus particulièrement les modérateurs et les intervenants des tables rondes. Si vous avez répondu à cet appel, c’est qu’en conscience, les uns et les autres, vous avez considéré qu’il fallait passer au dessus de nos différences. Si toute la gauche est là, cet après-midi, si la société civile a répondu dans toute sa diversité ce matin, c’est que nous avons tous, militants associatifs, citoyens, responsables politiques, senti l’importance du moment. Les sujets n’étaient pas faciles mais nous avons beaucoup appris les uns des autres. C’est cela faire de la politique différemment, c’est cela une véritable plateforme citoyenne.
Le 14 juillet, après le feu d’artifice, Nice a été frappée par un attentat épouvantable, qui a fait 86 morts et près de 400 blessés. Un traumatisme pour notre ville touchée en plein cœur dans un lieu mondialement connu, la Promenade des Anglais. La ville est meurtrie. Contrairement à l’unité nationale qui s’était exprimée après les attentats des 6 janvier et 13 novembre 2015, à Paris, ici, dès le 15 juillet, les polémiques ont fait rage. Je ne reviendrai pas dessus, cela ne le mérite pas. Mais nous avons dû supporter une assez longue séquence indigne du moment que nous vivions, indigne de tous ceux qui en quelques secondes avaient perdu la vie, indigne de la douleur des familles.
Tous ceux qui se sont servi de cet attentat pour en faire une tribune politicienne ne sortiront pas grandis de la période. Sans s’être franchement concerté, car la période n’était pas propice, et parce que de toute manière, nous ne nous parlons pas souvent, tous ensemble, depuis longtemps, aucun d’entre nous n’est entré dans ce jeu là. Je pense que nous devons collectivement en être fiers et c’est ce qui fait que même s’il y a des cousins plus éloignés que d’autres, nous avons un socle qui nous est commun. Cela s’appelle l’éthique républicaine.
Mais nous ne pouvions pas être totalement absents de cette période. Cela n’aurait pas été compris. Il fallait envoyer à l’opinion un message de rassemblement dans une circonstance exceptionnelle. C’est ce qui a conduit toute l’équipe de Nice au Cœur à proposer ce Forum sur l’Egalité républicaine et à poser la question à laquelle vous avez tenté de répondre : « comment renforcer la République ? ». Nous étions au début août et personne n’imaginait encore la déferlante Burkini qui s’est répandue sur la Côte d’Azur. Ce qui s’est passé depuis cette date n’a, à mon sens, fait qu’amplifier le besoin de cette journée.
Mes chers amis, que l’on soit bien clair, ici, dans cette salle, nous voulons tous combattre les intégristes islamistes, les salafistes, tous ceux qui ne reconnaissent pas la République et qui veulent établir un Etat fondé sur les principes de l’Islam.
Il faut être conscient que lorsque la parole raciste se libère, quand la laïcité est entamée, ce sont les valeurs de la République qui sont en danger.
C’est la raison pour laquelle, il est de notre responsabilité de porter un discours offensif sur la laïcité et sur la République, sans céder à la tentation de la tweeterisation, de la réaction à court terme. Tout ce qui relève du court terme quand on est sur un sujet de société d’une telle ampleur, comporte nécessairement des limites.
Bien sûr, il est indispensable de rassurer les parents d’élèves en cette période de rentrée, de prendre des mesures pour la sécurité des écoles. En même temps on ne peut se satisfaire d’une société certes sécurisée mais anxiogène. Nous devons travailler sur le long terme.
C’est d’ailleurs pour cela que c’est dur pour un responsable politique de répondre à la question posée. Tout simplement parce qu’elle renvoie au temps. Et le temps sociétal est beaucoup plus lent que le temps politique qui n’a que la durée du mandat. C’est en cela que le logiciel de nombreux élus locaux est en panne et qu’une nouvelle génération de pensée doit émerger. On ne va plus demander à un élu local, une piscine, un rond point. Tous les élus locaux savent le faire. Tout simplement, parce que l’amélioration de la vie quotidienne ne passe plus par de meilleurs équipements publics, elle passe par le mieux vivre ensemble et que cela n’est pas quantifiable, pas visible. L’élu local est confronté à des enjeux qui dépassent la proximité. Plus que jamais la somme des intérêts individuels ne fait pas l’intérêt général. Voilà la contradiction qui fait « turbuler » tout le système depuis un moment, nous sommes dans cette mutation. Et la République a du mal à trouver la réplique. Ce qui semblait aller de soi, le respect des différences, la liberté d’expression, et le vivre ensemble, tout cela apparaît désormais fragile.
Ici, nous ne sommes pas en campagne électorale. Ce n’est ni le lieu de défendre un bilan, ni celui de faire un procès.
Et concernant la question qui nous occupe, si la République est aujourd’hui affaiblie, elle le doit à sa classe politique et les responsabilités sont partagées, même si elles ne sont pas à parts égales.
Parce qu’à droite, le premier quinquennat de Nicolas Sarkozy a affaibli la République en trois discours : le discours de Latran, Philippe Pellegrini y faisait allusion à l’instant ; le discours de Grenoble sur l’identité nationale ; le discours de Dakar sur l’homme africain.
A l’inverse, à gauche, les problèmes ont été pointés très tôt par ce que j’appelai la troïka de François Mitterrand. Hubert Dubedout, le maire de Grenoble, le père de la politique de la ville, Gilbert Bonnemaison, à l’origine de la création des Comités de prévention de la délinquance et Bertrand Schwartz, l’homme des missions locales, mais les alternances politiques ont provoqué trop de ruptures, trop de discontinuités. A chaque fois la vision libérale s’est traduite par un désengagement de ces politiques. A chaque fois la vision républicaine s’est traduite par de nouveaux efforts pour réinvestir les quartiers et ainsi de suite, mais les crises économiques successives n’ont plus permis de mettre tous les moyens nécessaires.
Cette ghettoïsation progressive, je l’ai dénoncée depuis des années. Depuis que, élu conseiller général entre 1998 et 2009, j’ai vu le processus progresser sous mes yeux ! Ce qu’il nous faut, c’est nous donner les moyens de renforcer la République, et interdire, ne peut être la seule solution. Bien sûr, il faut parfois le faire. Cela signifie que la République ne présente pas suffisamment d’attrait pour logiquement s’imposer comme un système de valeurs supérieur à tout autre. Le constat est affligeant. Il y a eu lentement, mais inexorablement, ces 30 dernières années, un affaiblissement de la promesse républicaine dans les quartiers. Et ce recul de l’Etat, cet abandon pourrait-on dire, a laissé un vide que la religion, surfant sur les difficultés économiques et sociales, s’est empressée de combler.
Alors comment la renforcer la République ?
Nous avons évoqué quatre questions : santé, vie associative, égalité homme-femme, laïcité. Nous aurions pu en évoquer d’autres : la culture, l’économie, les transports, la sécurité.
Commençons par l’égalité homme-femme ! Renforcer la République, c’est ne rien céder sur le principe de l’égalité homme-femme. J’avoue être consterné quand je vois des procès en sorcellerie montés contre certains d’entre nous. Ceux qui ne condamneraient pas le burkini seraient des anti-féministes. Convenez que la question est moins binaire que cela. Mis à part la loi Veil pour la légalisation de l’avortement, toutes les grandes avancées des combats féministes ont été obtenues sous des gouvernements de gauche. Dans ce département, j’ai trouvé courageuse la position de Jean Leonetti, qui n’a pas cédé à la pression de ses amis politiques. Par contre, là où il faut être intransigeant, parce que c’est là que commence l’intégrisme islamiste, c’est sur le respect de la liberté. Aucune jeune fille, aucune jeune femme, aucune femme ne doit être voilée sous la contrainte d’un père, d’un frère ou d’un mari. Je fais, vous l’aurez tous compris, allusion au cas de la jeune Samira, qui ne trouvant aucune aide, veut adhérer au FN parce qu’elle pense que seule l’extrême droite la sortira de sa situation. Mais quel échec pour la République ! C’est la République qui doit prendre ses responsabilités et lui venir en aide.
Voilà une question qui mérite qu’on légifère et qu’on crée un délit. Légiférer, non pas pour interdire mais pour émanciper. La République a su trouver la solution pour libérer la parole des enfants victimes d’actes de pédophilie, des femmes victimes de violences conjugales, elle doit maintenant faire sauter cette ultime chape de plomb que l’on peut assimiler à une violence faite à la femme. Et dans l’attente, il faut apporter des réponses de proximité. Nous allons travailler sur l’idée de ce fameux système de parrainage qui permettrait à une femme dans cette situation de parler et d’être mise sous protection d’un parrainage civil, voire, sous protection policière si nécessaire. Et il faut aussi prendre en compte ce qui a été dit à la table ronde. Des associations doivent se mobiliser pour travailler aussi sur les garçons et les jeunes hommes.
Continuons avec la santé. C’est l’un des indicateurs les plus révélateurs des manquements à l’égalité républicaine parce qu’il est clair que tout le monde n’a pas le même niveau d’information. Ce ne sont pas tant les soins proprement dits qui sont inégaux, mais il y a les enjeux en terme de prévention, la santé bucco dentaire des jeunes, la prévention de l’obésité, l’inégal accès à la complémentaire santé, le tabagisme, la consommation de stupéfiants et les phénomènes dépressifs. Il faut développer les maisons de santé sur le modèle de celle des Moulins. Mais, nous allons proposer d’intensifier l’effort sur la prévention des maladies mentales. La violence de l’exclusion sociale, le chômage de longue durée, les échecs familiaux, l’absence de perspective positive, poussent un certain nombre de personnes au plus profond du désespoir. Le terroriste de Nice avait un peu ce profil. Nous devons développer les permanences de psychiatres et de psychologues sur le terrain, sensibiliser les populations dans un but, non pas de sanctionner, mais de prévenir comme le disait ce matin Huidaide. Il faut mieux coordonner les interventions. C’est là-dessus qu’a insisté Ladislas.
Poursuivons avec la laïcité. Il nous faut promouvoir la laïcité parce qu’elle est le meilleur rempart contre tous les intégrismes. Mais la laïcité ne doit pas se transformer en arme contre les musulmans. L’intégrisme puise sa force dans l’ignorance, lit-on souvent. Eh bien, agissons et mettons le paquet sur l’éducation. Et je rejoins complètement Xavier Garcia. Nous allons proposer à nouveau un accès gratuit pour les Temps d’Accueil Educatifs, parce que la fréquentation des TAE est inversement proportionnelle au niveau socio économique des familles. Plus la famille est fragile économiquement et moins les enfants participent aux TAE, les statistiques sont édifiantes. Or, ce sont eux qui en ont le plus besoin. Nous devons au minimum faire l’effort sur les quartiers défavorisés. La majorité municipale doit absolument prendre en compte cette demande, sa seule réponse aux enjeux de l’après 14 juillet ne peut être que sécuritaire. Il faut construire des TAE qui, par des systèmes attractifs, par des jeux, fassent la promotion de la citoyenneté et des valeurs de la République. Faire comprendre , dès le plus jeune âge, qu’ensemble, on est plus fort que seul, faire comprendre qu’un fille vaut autant qu’un garçon, même si elle est différente, faire comprendre que le masculin et le féminin se complètent sans que l’un ne domine l’autre, faire des initiations à la démocratie, les faire voter, choisir, leur faire prendre conscience que quelle que soit leur couleur, leur religion, leur origine et leur sexe, chacun a une voix qui compte autant que l’autre, n’est-ce pas cela l’égalité républicaine ?
Chacun doit prendre ses responsabilités. Mais je peux vous dire que le temps perdu sur ce terrain ne se rattrape jamais. Je suis allé, en tant que 1er vice président de la région, parler de la charte de la laïcité dans des classes de 1ères en lycée professionnel. J’ai lu la colère dans certains regards. Pour de nombreux jeunes, parce qu’ils n’ont pas été formé et éduqué à la laïcité, celle-ci est assimilée à des restrictions de liberté alors qu’au contraire, elle protège la liberté de chacun.
Enfin la vie associative. Nous disposons d’une autre arme dans la mobilisation de moyens pour participer à cette reconquête, la loi de 1901, la vie associative. Là encore, je ne veux faire le procès de personne mais le totalitarisme n’est pas la bonne réponse. Le tissu associatif doit être libre et totalement indépendant du pouvoir municipal quel qu’il soit. Les salariés du monde associatif qui travaillent dans la politique de la ville ont toute notre gratitude parce que ce n’est pas facile, parce qu’il faut avoir la foi républicaine chevillée au corps. Jean-Claude Poirier rappelait ce matin que c’était au cœur des associations que l’on brassait le plus de mixité sociale. Les crédits consacrés à la politique de la ville doivent être augmentés de 30 % en trois ans (10 % par an et ce sont les associations les moins subventionnées actuellement qui doivent en bénéficier prioritairement, afin de diversifier les réponses possibles, et mieux soutenir les initiatives partant du terrain, proposant des méthodes innovantes. L’association sera de plus en plus l’interface entre ceux qui participent, entre autre, les élus, et ceux qui ne participent pas. C’est elle qui favorisera la participation des habitants, qui fera entendre la voix des « sans voix ». Il en est de même pour les clubs sportifs dont la majorité des adhérents sont issus des zones sensibles. Les clubs qui ont des difficultés à faire appliquer la laïcité pendant les activités sportives doivent être aidés. L’exclusion d’un jeune doit être vue comme un échec et non comme une solution. Tout doit être mis en œuvre pour ne pas en arriver là, y compris un dialogue sur la laïcité dans les familles. Mais ce n’est pas aux bénévoles des clubs que cette tâche incombe. Ce point précis fera l’objet d’une proposition pour que des acteurs formés à la pédagogie de la laïcité puissent être mis à disposition de clubs qui auraient besoin d’une intervention ponctuelle. Jean-Baptiste Clerico a insisté sur ce point.
Comme on a pu le voir tout au long de la journée, l’Egalité républicaine, c’est un combat permanent. Elle n’est pas toujours respectée. C’est la raison pour laquelle nous mettrons en place un observatoire de l’Egalité républicaine. Il aura pour mission de recenser les manquements, les discriminations, les injustices et nous savons qu’elles existent, en matière d’emploi, de logement, d’éducation, de conditions de vie, de culture, de santé, de loisirs. Le 14 juillet a placé Nice au cœur de la question terroriste. C’est un enjeu international, c’est un enjeu national mais c’est aussi un enjeu local, compte tenu des enjeux spécifiques niçois.
Nous avons, grâce à la société civile, aux responsables associatifs, syndicaux, aux militants politiques, commencé à construire un diagnostic sans concession de l’état de notre République dans notre ville. Des propositions ont émergé. Elles ont recueilli de l’intérêt, parfois l’assentiment. Nous allons les porter publiquement, travailler, voir ce qu’il est possible de mettre en place et nous nous retrouverons l’an prochain, à la même époque, pour la 2ème édition du Forum de l’Egalité républicaine.
Vive la République !