Aujourd’hui, c’est le 8 mars, c’est la journée internationale des droits des femmes.


Pour l’illustrer j’ai trouvé ce très beau texte de Victor Hugo daté du 8 juin 1872.Monsieur,

Je m’associe du fond du cœur à votre utile manifestation. Depuis quarante ans, je plaide la grande cause sociale à laquelle vous vous dévouez noblement.
Il est douloureux de le dire : dans la civilisation actuelle, il y a une esclave. La loi a des euphémismes : ce que j’appelle une esclave, elle l’appelle une mineure ; cette mineure selon la loi, cette esclave selon la réalité, c’est la femme. L’homme a chargé inégalement les deux plateaux du Code, dont l’équilibre importe à la conscience humaine ; l’homme a fait verser tous les droits de son côté et tous les devoirs du côté de la femme. De là un trouble profond. De là, la servitude de la femme. Dans notre législation telle qu’elle est, la femme ne possède pas, elle n’este pas en justice, elle ne vote pas, elle ne compte pas, elle n’est pas. Il y a des citoyens, il n’y a pas de citoyennes. C’est là un état violent : il faut qu’il cesse.
Je sais que les philosophes vont vite et que les gouvernements vont lentement ; cela tient à ce que les philosophes sont dans l’absolu, et les gouvernements dans le relatif ; cependant il faut que les gouvernants finissent par rejoindre les philosophes.
Quand cette jonction est faite à temps, le progrès est obtenu et les révolutions sont évitées. Si la jonction tarde, il y a péril.
Sur beaucoup de questions à cette heure, les gouvernants sont en retard. Voyez les hésitations de l’Assemblée à propos de la peine de mort. En attendant, l’échafaud sévit.
Dans la question de l’éducation, comme dans la question de la répression, dans la question de l’irrévocable qu’il faut ôter au mariage et de l’irréparable qu’il faut ôter à la pénalité, dans la question de l’enseignement obligatoire, gratuit et laïque, dans la question de la femme, dans la question de l’enfant, il est temps que les gouvernants avisent. Il est urgent que les législateurs prennent conseil des penseurs, que les hommes d’États, trop souvent superficiels, tiennent compte du profond travail des écrivains, que ceux qui font les lois obéissent à ceux qui font les mœurs. La paix sociale est à ce prix.
Nous philosophes, nous contemplateurs de l’idéal social, ne nous lassons pas. Continuons notre œuvre. Étudions sous toutes ses faces, et avec une volonté croissante, ce pathétique problème de la femme dont la solution résoudrait presque la question sociale toute entière.
Apportons dans l’étude ce problème plus même que la justice ; apportons-y la vénération ; apportons-y la compassion.
Quoi ! il y a un être, un être sacré, qui nous a formés de sa chair, vivifiés de son sang, nourris de son lait, remplis de son cœur, illuminés de son âme, et cet être souffre, et cet être saigne, pleure, languit, tremble. Ah ! Dévouons-nous, servons-le, défendons-le, secourons-le, protégeons-le ! Baisons les pieds de notre mère !
Avant peu, n’en doutons pas, justice sera rendue et justice sera faite. L’homme à lui seul n’est pas l’homme : l’homme, plus la femme, plus l’enfant, cette créature une et triple constitue la vraie unité humaine. Toute l’organisation humaine doit découler de là. Assurer le droit de l’homme sous cette triple forme, tel doit être le but de cette providence d’en bas que nous appelons la loi.
Redoublons de persévérance et d’efforts. On en viendra, espérons-le, à comprendre qu’une société est mal faite quand l’enfant est laissé sans lumière, quand la femme est maintenue sans initiative, quand la servitude se déguise sous le nom de tutelle, quand la charge est d’autant plus lourde que l’épaule est plus faible : et l’on reconnaîtra que, même au point de vue de notre égoïsme, il est difficile de composer le bonheur de l’homme avec la souffrance de la femme.